The Devil de Jean-Gabriel Périot

 

Spike Lee peut aller se rhabiller. En 7 minutes chrono, The Devil parvient à évoquer le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis et la naissance du Black Power, sur fond de racisme et de brutalité policière. Le tout uniquement composé de found footages, sans voix off didactique ni mise en contexte superflue. Juste un montage d'images d'archives et de sons, rythmé par le beau morceau de Boogers, The Devil, et son refrain lancinant : « If you look upon my face, you're watching now the Devil.» L'enchaînement implacable des images donne le vertige. Première image : très gros plan sur le visage flou d'une jeune femme noire qui répète, face caméra, « You don't know what we are. » Puis, alors que la musique démarre, apparaissent des gosses des rues, bientôt remplacés par des ados, puis des adultes, filmés de plus en plus serrés : en quelques cuts, on dirait que les gamins sont devenus grands. leurs visages, muets, durs, fermés, finissent par envahir l'écran, comme une réponse ironique aux paroles de Boogers. Tout s'emballe vraiment lorsque deux Noirs se font violemment attaquer par un groupe d'hommes blancs. la scène est montée en boucle trois ou quatre fois de suite sur un puissant riff de guitare, comme si le film s'enrayait tout à coup. À partir de là, s'enchaînent rassemblements et manifs pacifiques, apparition de leaders noirs, répression, radicalisation de la contestation et naissance des Black Panthers (poings levés, bérets et lunettes noires, drapeaux)... Progressivement, la musique passe en sourdine pour mieux laisser résonner les discours révolutionnaires, où éclate la colère de toute une communauté. les visages muets du début ont pris la parole, et sont bien décidés à la garder. Mais, loin de renvoyer dos à dos la violence policière et celle, verbale, des Black Panthers, Périot conclut par la nécessité pour tous les opprimés d' affirmer leur dignité : « Nous sommes noirs, notre nez est épaté, nos lèvres sont épaisses, nos cheveux sont crépus et nous sommes magnifiques! » Essai poétique, ciné-tract, The Devil est un concentré d'énergie politique qui secoue les consciences.

 

Maxime Werner
sofilm 25
novembre 2014